Définition et reproduction
Les lichens naissent de la symbiose entre un champignon hétérotrophe (ne pouvant pas produire les substances organiques nécessaires à son développement), dit mycobionte, et un photobionte autotrophe (qui a contrario produit lui-même les substances organiques). Ce dernier est constitué d’une algue verte et/ou d’une bactérie capable de photosynthèse, une cyanobactérie (Asplund et Wardle, 2017).
Les lichens sont des cryptogames (organismes avec des parties reproductrices cachées) qui se développent lentement et ont une longévité pouvant aller jusqu’à des centaines d’années selon les espèces (Agnan, 2016b ; Asplund et Wardle, 2017). Leurs aptitudes à s’adapter à des conditions de vie extrêmes et à jouer un rôle d’auxiliaire pour l’implantation d’organismes vascularisés, tels que les plantes, font qu’ils sont qualifiés d’organismes pionniers (Lohezic-Le Devehat, 2020).
Ils recouvrent 8% de la surface terrestre et sont particulièrement présents dans les toundras, les forêts et les plaines sèches (Asplund et Wardle, 2017). Les lichens sont des végétaux très complexes en raison de l’équilibre symbiotique qui régit leur existence ainsi que de l’écosystème à leur surface (Lohezic-Le Devehat, 2020).
La structure lichénique
Le lichen a une structuration particulière majoritairement composée par celle du champignon et aucun système de vascularisation (Agnan, 2016a) (voir Fig. 2). Il est formé de 4 couches : cortex supérieur, couche algale, couche médullaire et cortex inférieur (Asta et Van Haluwyn, 2013). Entre les cortex supérieur et inférieur, les cellules du photobionte, dites algales, sont entremêlées dans les filaments du mycobionte, dénommés hyphes (cellules fongiques) (Agnan, 2018). Après cet enchevêtrement de cellules, les rhizines fongiques permettent la fixation du lichen au substrat (Asta et Van Haluwyn, 2013).
Cette structuration peut varier avec la présence partielle ou exclusive de cyanobactéries en symbiose avec le mycobionte. Ces cyanobactéries peuvent être sous forme de verrues localisées à l’extérieur ou à l’intérieur du thalle, ou corps du lichen, principalement composé des cellules du mycobionte. On les appelle des céphalodies filamenteuses (Lohezic-Le Devehat F., 2020).
Les champignons composant le lichen se nourrissent de glucides et vont exclusivement pouvoir atteindre leur objectif alimentaire via une symbiose avec une algue verte et / ou une cyanobactérie (Asta, Van Haluwyn, et Bertrand, 2016). Le tout est alors de comprendre quels champignons et quels photobiontes autotrophes sont concernés et aptes à favoriser cette association symbiotique.
Les associations des photobiontes avec les lichens peuvent être catégorisées en trois symbioses différentes. La première symbiose est celle unissant le mycobionte à une algue verte tandis que la deuxième l’associe à une cyanobactérie. La troisième symbiose unit ces trois composants : le mycobionte quel qu’il soit parmi ceux déjà cités plus haut, une algue verte et une cyanobactérie. Ainsi, les algues interviennent à hauteur de 90% dans la symbiose lichénique contre environ 10% pour les cyanobactéries. Ces algues sont principalement du genre Trebouxia (50 à 70%) et du genre Trentepohlia. Les cyanobactéries sont majoritairement du genre Nostoc. Ces photobiontes assurent leur reproduction uniquement par multiplication végétative (Asta et Van Haluwyn, 2013).
La reproduction des lichens
D’un point de vue fongique, les champignons sont les seuls capables d’assurer la reproduction des lichens de manière sexuée ou asexuée. En effet, l’algue se reproduit uniquement par mitoses (Asta, Van Haluwyn, et Bertrand, 2016 ; Agnan, 2016a).
La reproduction sexuée
Les hétérotrophes ayant une reproduction sexuée sont principalement les ascomycètes (Asta, Van Haluwyn, et Bertrand, 2016). Les ascomycètes possèdent des spores contenus dans des asques qui sont relâchés par rupture du sommet de la paroi de l’asque. Le lichen pourra alors se reproduire grâce à des ascomes qui peuvent être soit sous la forme de périthèce (sphère creuse), ou d’apothécie (petit disque) (Asta et Van Haluwyn, 2013).
Les basidiomycètes peuvent également être acteurs d’une symbiose lichénique et assurer une reproduction sexuée. Cependant, ils représentent seulement 1 à 2% de la population des champignons lichénisés. De plus, leurs spores se développent à l’extérieur des cellules, dites basides, et non plus dans des asques, pour atteindre des organes reproducteurs externes sous forme de « petites cornes » : les stérigmates. Le genre le plus représenté est le Lichenomphalia avec des organes reproducteurs en forme de « petits champignons à lames » (Asta, Van Haluwyn, et Bertrand, 2016 ; Asta et Van Haluwyn, 2013).
Les basidiomycètes peuvent également être acteurs d’une symbiose lichénique et assurer une reproduction sexuée. Cependant, ils représentent seulement 1 à 2% de la population des champignons lichénisés. De plus, leurs spores se développent à l’extérieur des cellules, dites basides, et non plus dans des asques, pour atteindre des organes reproducteurs externes sous forme de « petites cornes » : les stérigmates. Le genre le plus représenté est le Lichenomphalia avec des organes reproducteurs en forme de « petits champignons à lames » (Asta, Van Haluwyn, et Bertrand, 2016 ; Asta et Van Haluwyn, 2013).
La reproduction asexuée
La reproduction asexuée existe également et peut être de 2 types (Agnan, 2016a). Cette multiplication végétative peut être effectuée par les sorédies. Constitués de filaments mycéliens et d’algues vertes, ces amas peuvent être transportés par l’air, l’eau et les insectes et à l’origine de la colonisation de nouveaux milieux. Les isidies, quant à elles, sont des prolongements du cortex qui peuvent se désolidariser du corps du lichen par l’action des insectes.
Fonctionnement de la symbiose
Après avoir identifié les divers composants à l’origine des partenariats symbiotiques lichéniques, il s’agit d’appréhender plus précisément les échanges symbiotiques qui sont essentiels aux lichens.
Le photobionte est, comme son nom l’indique, la partie du lichen à l’origine de la photosynthèse des éléments nécessaires à la croissance, au développement et au fonctionnement du mycobionte (Ahmadijian et Hale, 2012). Effectivement, tandis que le champignon respire consommant l’oxygène atmosphérique et dégageant du gaz carbonique, l’algue unicellulaire pratique la photosynthèse. Via ces deux phénomènes, le champignon va pouvoir recevoir des molécules organiques énergétiques provenant de l’énergie lumineuse et, dans un même temps, permettre à l’algue d’avoir un refuge pour se développer. De plus, la fixation du lichen est assurée par les rhizines (cellules du mycobionte). Cette étroite coopération créée également des acides lichéniques qui ne pourraient exister autrement (Lohezic-Le Devehat, 2020).
Plus précisément, le photobionte est autotrophe en carbone et va donc fournir toutes les molécules énergétiques carbonées au mycobionte, notamment sous la forme d’hydrates de carbone solubles. Les racines des lichens étant très faiblement développées, le mycobionte va alors permettre de puiser l’eau, les sels minéraux et les vitamines présents dans l’air via le thalle en contact avec l’atmosphère. Ce phénomène rend le mycobionte apte à donner un habitat riche en éléments nutritifs au photobionte (Agnan, 2018).
Les substances échangées peuvent varier selon la nature du photobionte. En effet, les algues vertes vont transmettre au mycobionte des dérivés de sucres (polyols), tandis que les cyanobactéries vont transmettre à la fois des sucres, des polyols, comme le mannitol et l’arabitol, et de l’ammonium produit par la fixation de l’azote atmosphérique (voir Fig. 3) (Asta et Van Haluwyn, 2013).
D’autres composés sont également produits par le lichen. Qualifiés de métabolites secondaires, ils jouent un rôle dans sa défense contre plusieurs facteurs, la communication avec son environnement et ils ont des impacts écologiques que nous aborderons dans les parties suivantes (Lohezic-Le Devehat, 2020).
Diversité lichénique
On compte 20 000 espèces de lichens (Agnan, 2016b). Les composantes du lichen qui agissent sur son environnement sont les mêmes pour toutes les espèces, mais avec des particularités et des formes différentes. La diversité lichénique explique l’impact (type et amplitude) des lichens sur leur environnement.
Un lichen se caractérise par son substrat, la forme de son développement, sa rétention en eau, sa couleur, le photobionte auquel il est associé et les composés secondaires qu’il produit.
Les substrats
En tant qu’organisme pionnier, le besoin du lichen en termes de substrats est très réduit. Ainsi, les lichens peuvent s‘implanter sur 5 types de supports différents : les roches (saxicoles), les arbres (corticoles), les sols (terricoles), les mousses (muscicoles) et les vieux bois (lignicoles) (Asta et Van Haluwyn, 2013).
Les formes de développement
La forme de développement du lichen est très complexe et est essentiellement induite par le champignon lichénisé. Même s’il existe une multitude de formes, trois sont clairement identifiées : les lichens crustacés, foliacés et fruticuleux.
Les lichens crustacés, totalement accolés à leurs supports, sont très fins. Cela laisse supposer une faible abondance en matière organique. Toutefois, cette adhérence au substrat pourrait entraîner des interactions et des processus physiques comme l’altération des roches (voir II).
Les lichens foliacés ressemblent à des feuilles ou des tuiles avec deux faces différentes. La face inférieure possède du tomentum. Cette sorte de duvet et la superposition de plusieurs de ces « tuiles » permettent la création de lieux propices (micro-habitats) à la vie et au développement de nombreux invertébrés en raison des conditions microclimatiques générées.
Le troisième type de thalle lichénique est le fruticuleux, qui est peu relié à son support. Ce lichen peut avoir des formes très différentes « comme des cheveux » ou bien comme des « touffes d’herbe ». Il peut très bien mesurer 2 mm comme 3 m de long et repose sur les branches avant d’être dégradé par leur contact (Asplund et Wardle, 2017).
Les couleurs : du blanc au noir
La palette de couleurs des lichens est très étendue allant du blanc jusqu’au noir. La couleur dépend du climat de la zone. Elle a une incidence sur l’albedo du lichen, c’est-à-dire sur sa capacité à réfléchir une fraction de la lumière induite par les rayonnements solaires (Futura, 2020a). Par exemple, lorsque la température est élevée, le lichen peut se permettre de moins captée la chaleur induite par le rayonnement (couleur claire). Alors que lorsque la température est fraiche, le lichen réchauffe son organisme avec un albedo faible pour éviter de réfléchir la lumière et garder la chaleur apportée par les rayons lumineux (couleur sombre) (Asplund et Wardle, 2017).
Les associations avec le photobionte
Les champignons lichénisés peuvent être associés à des photobiontes différents. Les variations de cette symbiose impactent alors l’écosystème qui entoure ce lichen. Le mycosymbionte, associé à une algue verte, est nommé Chlorolichen ; tandis que celui contenant seulement une cyanobactérie sera un Cyanolichen.
Il existe une troisième forme de symbiose : le Cephalolichen, qui est la résultante d’une symbiose entre le mycobionte, l’algue verte comme principale photobionte, et la cyanobactérie avec une structuration extérieure ou incorporée à l’intérieur des filaments fongiques.
La différence notable entre ces trois formes de symbiose est la présence ou non de cyanobactérie. Celle-ci a la particularité d’apporter de l’azote atmosphérique aux lichens, qui permet une concentration supérieure en azote (Asplund et Wardle, 2017).
D’autres différences sont observables et vont avoir une incidence sur leur capacité de rétention en eau et leur structure physique. La photosynthèse des Chlorolichens et des Cephalolichens est activée grâce à une ambiance avec un fort taux d’humidité, contrairement à celle des Cyanolichens qui nécessite la présence d’eau sous forme liquide comme la pluie ou la rosée (Lange, Kilian, et Ziegler, 1986).
Cette caractéristique exerce une pression sur la localisation de ces lichens. Ainsi, les Cyanolichens, par exemple, sont plus fréquemment localisés dans des forêts tropicales, où les pluies sont récurrentes, ou dans des plaines à découvert (lieux avec de fortes rosées) (Gauslaa, 2014).
La rétention en eau
La rétention en eau est un paramètre essentiel pour le microenvironnement en formation autour des lichens. Par conséquent, les variations existantes entre les lichens de différentes morphologies, et au sein même de chacune d’entre elles, seront un des facteurs explicatifs de l’efficacité de la stratégie de captation de l’eau, mise en place par le lichen (Asplund et Wardle, 2017 ; Lohezic-Le Devehat, 2020).
A cela, s’ajoute la masse spécifique du thalle (STM), rappelant le système de quantification de la masse spécifique des feuilles des plantes (Asplund et Wardle, 2017 ; Gauslaa et Coxson, 2011).
Plusieurs études sur les lichens foliacés ont permis de montrer l’importance de la morphologie des lichens et de leur STM. En 2011, l’expérience de Gauslaa et Coxson sur des Cyanolichens et des Chlorolichens foliacés, d’une forêt ancienne située en Colombie Britannique, a mis en lumière la corrélation positive entre la STM et la rétention en eau. Ainsi, plus le lichen possède de la matière sèche, plus il pourra absorber d’eau en grande quantité. De plus, il semblerait que la finesse de la couche du photobionte ait un impact sur la capacité en rétention d’eau du lichen. Enfin, la saturation en eau ainsi que la capacité de rétention hydrique sont plus élevées pour les Cyanolichens que pour les Chlorolichens (Gauslaa et Coxson, 2011).
Dans la nature, certains lichens, notamment les foliacés fins, ont une capacité de rétention en eau limitée même si leur aptitude à la capter est efficace. A contrario, d’autres lichens, en particulier les Cyanolichens foliacés épais, ont une capacité de rétention en eau pouvant s’étendre sur de longues périodes (Esseen et al., 2015 ; Gauslaa et Coxson, 2011). Ainsi, on peut observer des fonctionnements et des stratégies de captation de l’eau différentes (Gauslaa, Coxson, et Solhaug, 2012).
Les productions de composés secondaires à base de Carbone
Finalement, la diversité des lichens repose également sur les composés secondaires. Ne serait-ce que par le nombre de métabolites spécialisés, les lichens avoisinent les 1050 composés dont la plupart proviennent du mycobionte. Ces composés ont des fonctions dédiées à la préservation du lichen comme la photoprotection, la lutte contre le stress oxydatif, la régulation du métabolite du photobionte ou la défense contre les lichénophages. Leurs concentrations peuvent être très variables au sein du thalle. Ils peuvent représenter 1% de la matière sèche du lichen auquel ils appartiennent comme 40%. Certains ne pourront d’ailleurs exister qu’en raison de la symbiose entre le champignon et un photobionte (Gadea, 2020).
Prenons l’exemple du lichen foliacé Lobaria pulmonaria. L’analyse de 152 échantillons a montré des variations entre les échantillons plus ou moins notables selon les prélèvements. Pour l’acide cryptostictique, les extraits varient entre 0,045 et 2,472 g/m2 alors que, pour l’acide constictique, ils varient entre 0,056 et 6,089 g/m2. En conclusion, la variation totale de ces composés secondaires à base de carbone était de 17,095 g/m2 (Vatne, Asplund, et Gauslaa, 2011).