Plusieurs processus sont à l’origine du façonnage des montagnes et de la pédogénèse. La pédogénèse, ou la création du sol, est initiée par l’altération des roches. Les lichens vont jouer un rôle dans cette altération rocheuse par le biais de processus mécaniques, biochimiques et chimiques. Les roches vont par exemple subir des variations de températures, des phénomènes de dissolution qui désolidarisent leurs particules et, ainsi, façonnent les reliefs terrestres (voir Fig. 5) (Pomerol et al., 2011).
Processus mécaniques
Pénétration des hyphes
Les montagnes sont des zones où la végétation est adaptée aux conditions climatiques, notamment aux températures plus ou moins basses. Selon l’altitude et les besoins physiologiques des plantes, un phénomène de stratification de la végétation, nommé étagement, est observé. Les lichens vont alors être présents en majorité au-dessus de 2900-3000 m selon si l’on se trouve du côté de l’Ubac (le versant de la montagne le moins longtemps exposé aux rayons lumineux) ou de l’Adret (le versant de la montagne le plus longtemps exposé aux rayons lumineux ) (Université de Grenoble Alpes, 2020).
Leur implantation sur ces roches montagneuses font de ces lichens, des lichens saxicoles (lichens ayant pour support des roches). Plus les lichens saxicoles sont implantés au sein de la roche, plus ils participent à sa fragmentation. Ainsi, les lichens saxicoles crustacés endolithiques, qui sont les lichens les plus fins implantés à l’intérieur même des roches, sont qualifiés de dessinateurs de reliefs terrestres (Lohezic-Le Devehat, 2020 ; Nat Geo France, 2020).
Ce sont les rhizines, racines de ces lichens, qui vont être les initiateurs de ces dessins. Ces filaments fongiques réussissent à s’infiltrer au cœur de la roche, année après année et, finalement, se créent un passage interstitiel en leur sein. Les intempéries et le froid accentuent ces infiltrations avec le changement d’état du thalle qui successivement se gorge d’eau, se solidifie pour finalement évacuer l’eau accumulée. Ces transformations successives constituent en partie le processus mécanique à l’origine de la désagrégation microscopique de la structure rocheuse. Par la suite, l’eau poursuit l’érosion en circulant dans les fentes formées et permet une action plus approfondie des processus bio/chimiques (voir Fig. 5) (Geolval, 2017 ; Lohezic-Le Devehat, 2020 ; Pomerol et al., 2011 ; Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
Cette altération rocheuse va permettre la création du sol. Plus explicitement, au cours du temps, une partie des fragments, provoqués par ces fissurations, est acheminée par des écoulements d’eau dans les profondeurs océaniques. Ici, les particules se gorgent d’eau. Ces fragments de roches ainsi hydratés permettront de « liquéfier le manteau rocheux » et d’améliorer son écoulement (Nat Geo France, 2020).
Comme résultats de l’intrusion du champignon et de son développement, les minéraux rocheux tels que les micas sont cassés en petits cristaux pendant que les feldspaths et les quartz ne sont plus que des grains.
Plusieurs données issues de différentes observations scientifiques, entre 1988 et 1996, a permis d’établir la profondeur de pénétration de deux lichens différents sur du Clarens grès. Il s’agit du lichen Lecidea Sarcogynoides et du lichen Magaliesberg quartzite. L’infiltration était de 3,21 mm pour le premier et de 1,12 mm pour le second. Concernant les lichens crustacés présents sur le granite, des recherches structurales ont montré que les portions bien développées du thalle étaient implantées entre des fragments de minéraux. Ces fragments observés provenaient d’un matériau micacé et étaient structurés en plaques détachées de la surface du minéral d’origine. Ces observations montrent l’action des lichens en tant que séparateurs de minéraux rocheux. D’autres preuves de séparation et d’exfoliation de biotite granitique dans des zones de fixation du thalle de lichens épilithiques foliacés et crustacés ont été constatées (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
Ces corps fongiques sont responsables de la formation de creux à la surface des roches colonisées. Il en est de même dans de nombreux autres microbiomes aux conditions extrêmes comme les déserts froids d’Antarctique (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000) ou les environnements arides (Ariño, Saiz-Jimenez, et Gomez-Bolea, 1997).

Source : Chen, Blume, et Beyer, 2000
Expansion et contraction du thalle
L’expansion et la contraction du thalle lichénique repose sur le développement du lichen au cœur de la roche. Elles expliquent la perturbation physique des roches servant de substrat au lichen. Le rôle érosif des lichens sur plusieurs substrats rocheux a été mis en évidence par Fry en 1927. Ainsi, l’humidification et la déshydratation du thalle sont favorisées par ses cellules fongiques dotées d’excellentes capacités d’hygroscopie et de rétention en eau. Ainsi, dans le sud norvégien, leur capacité hygroscopique peut représenter jusqu’à 300% de leur matière sèche lorsque le taux d’humidité dans l’air est assez élevé (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
En 1993, Moses et Smith ont étudié l’effet du lichen Collema auriforma sur le calcaire pour déterminer si le lichen était bien un agent de détérioration par action mécanique de son propre support : la roche. Pour ce faire, des prélèvements de roches calcaires, sur lesquelles du lichen était fixé, ont été réalisés dans l’ouest de l’Irlande. Les échantillons prélevés ont alors subi plusieurs expérimentations visant à reproduire des périodes d’intempéries ou de fort ensoleillement conduisant à l’hydratation et au séchage de la roche colonisée par le Collema auriforma. Ensuite, des analyses de la surface et de la partie inférieure du lichen ont montré la présence de fragments rocheux, d’environ 10 à 50 mm, intégrés aux filaments fongiques, et d’alvéoles ou de tunnels circulaires, qui pourraient résulter de la corrosion ou de la chélation des acides relâchés par les lichens (Moses et Smith, 1993).
La contraction du thalle durant la phase de séchage du Collema auriforma pourrait donc expliquer la fragmentation rocheuse (Moses et Smith, 1993 ; Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
Cette implication des lichens dans la formation géologique de chemins souterrains, dite karstique, sera d’autant plus importante que les lichens ont une action à la fois physique et chimique.
Action gel / dégel du corps lichénique
La création du sol ou pédogénèse s’explique par l’érosion de la roche dont le processus mécanique repose, notamment, sur le gel et le dégel. Plus la région concernée a un climat froid, plus ces mécanismes favorisent l’érosion de la roche.
Le gel et le dégel résultent de la variation des températures. Cette variation peut provenir du micro-environnement, constitué par le lichen et ce qui l’entoure, et du thalle en lui-même. La pénétration des lichens et la fissuration qui en résulte dans la roche permettent aux eaux de surface de s’introduire dans des zones profondes. Ainsi, lorsque la température descend au-dessous de 0°C, l’eau, contenue dans le thalle et le micro-environnement, ainsi introduite dans les fissures de la roche, se transforme en glace (gel). C’est le phénomène d’expansion de l’eau qui conduit à la fracture de la roche (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
En 1981, Creveld a validé l’hypothèse que ces deux mécanismes, le gel et le dégel, pouvaient avoir un rôle significatif dans l’érosion des roches par la colonisation des lichens. Leur étude a été réalisée dans la région alpine du Sud norvégien (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
En Antarctique, l’expansion de l’eau gelée associée aux lichens endolithiques et à leur micro-environnement a été identifiée comme la cause de l’exfoliation ou de la désagrégation des surfaces rocheuses. Les lichens peuvent donc accélérer la pédogénèse par l’érosion des roches en particulier dans des zones de déserts froids, telles que la région maritime de l’Antarctique où les lichens sont l’une des principales formes de végétation (Chen et Hans-Peter, 1999).
En 2002, un article paru dans le Journal of Geographical Sciences, écrit par Jie Chen et Blume Hans-Peter, souligne le rôle important des lichens saxicoles dans le processus d’érosion des sols en Antarctique. En effet, la pénétration des hyphes dans les roches permet de séparer des grains au préalable désolidarisés du minéral parent, en raison du gel et du dégel (Chen et Hans-Peter, 2002).
Action du gonflement des sels inorganiques et organiques
La cristallisation des sels localisés dans les pores et les fissures des pierres peut exercer une pression suffisante pour séparer les fragments de minéraux voire de roches. Effectivement, le lichen produit des sels organiques ou inorganiques, notamment des oxalates, qui jouent un rôle dans la détérioration de la roche (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
L’oxalate sécrété par le lichen en contact avec l’interface de la roche et donc avec les minéraux entraîne leur précipitation. Une relation étroite existe alors entre la composition chimique du substrat et le type d’oxalate insoluble accumulé dans le thalle ou au-dessous de celui-ci (interface avec la roche). Sur les roches calcaires, telles que les dolomites, autant que sur les roches contenant du calcium, l’oxalate de calcium est prédominant généralement sous la forme de whewellite (CaC2O4 H2O).
La localisation des cristaux sur la surface externe des hyphes dans le thalle ou sur le cortex supérieur du lichen suggère la formation extracellulaire de cristaux. Les cristaux sont d’abord formés de manière intracellulaire dans la couche supérieure de l’hyphe. A l’issue de leur croissance, ils sont relâchés à la surface au contact de la pierre. De fines couches de ces cristaux ont d’ailleurs été observées dans la zone de contact lichen – roche (Adamo, 2000).
Finalement, les oxalates, tels que le sel d’oxalate de calcium, amplifient l’effet mécanique érosif des lichens car leur précipitation avec les minéraux déstructure la roche (Feigao, Jian, et Shixiang, 2010 ; Drever et Stillings, 1997).
Incorporation de fragments minéralogiques au sein du thalle
Un certain nombre d’auteurs se sont penchés sur ce rôle des lichens qui consiste à incorporer dans le thalle des fragments de minéraux.
Ainsi, il a été montré que les thalles lichéniques avaient la capacité d’incorporer des fragments de roches et de minéraux, séparés voire désagrégés par de précédents processus mécaniques. Dans une étude réalisée en 1993, Ascaso et Wierzchos ont découvert qu’une séparation minéralogique avait eu lieu à l’interface entre le thalle et la roche granitique. En effet, l’une des deux parties de la même particule minérale était incrustée dans le filament fongique du lichen tandis que l’autre restait dans la roche (Wierzchos et Ascaso, 1993 ; Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
En 1997, cinq scientifiques ont corroboré cette hypothèse en étudiant la composition d’une roche granitique et celle du thalle du lichen y reposant . D’après eux, il semblerait que le lichen pénètre entre les minéraux et entraîne leur rupture, pour ensuite les incorporer au sein de son thalle, conduisant ainsi à une désolidarisation de la roche (Prieto et al., 1997).
Cette étude est une sorte de prolongement de celle menée sur la colonisation par les lichens des églises de Galice. En effet, il est apparu que les principaux minéraux étaient les mêmes au sein du thalle ou à l’intérieur de la roche (quartz, mica, feldspath) résultant de l’appropriation des minéraux rocheux par les lichens (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000 ; Prieto et al., 1997).
Thermoclastie et cryoclastie
De façon générale, les lichens crustacés peuvent avoir un impact sur la fluctuation des températures à la surface et à l’intérieur des roches, par la variation de leur albedo. Le réfléchissement des rayons lumineux peut effectivement être contrôlé par les lichens puisqu’ils possèdent des composés secondaires pigmentés, tels que l’acide usnique filtrant certaines longueurs d’ondes émises dans l’ultraviolet par exemple (Carter et Viles, 2004 ; Sundset et al., 2008).
Par ailleurs, la thermoclastie résulte de la désolidarisation des particules superficielles (liée aussi à des processus chimiques) alimentée par les amplitudes de températures contractant et dilatant successivement les éléments rocheux. La cryoclastie, quant à elle, fait référence aux mêmes types de variations mais reposent sur le gel et le dégel (Pomerol et al., 2011).
Ces lichens peuvent alors renforcer, par les phénomènes de thermoclastie et de cryoclastie, l’érosion de la roche (Asplund et Wardle, 2017 ; Carter et Viles, 2004 ; National Science Foundation, 1983).
Processus chimiques
Longtemps, les scientifiques ont pensé que les lichens jouaient un rôle mineur dans le processus d’érosion chimique des roches. Ils croyaient alors insolubles leurs composés secondaires dans l’eau. De plus, la technologie en cours ne permettaient pas des analyses approfondies de l’effet du lichen sur son substrat (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
Pourtant, le processus mécanique d’érosion des roches n’est pas le seul dans lequel les lichens jouent un rôle. Les lichens participent également à l’érosion des roches via des processus chimiques de plusieurs types, provenant de l’eau et des métabolites secondaires qu’ils produisent.
Plus précisément, les lichens sécrètent à la surface de leur thalle des acides, dits lichéniques. Ils sont de deux types : les traditionnels macromolécules, comme l’acide usnique, ou des acides organiques à chaîne courte, tels que les acides oxaliques, succiniques, acétiques, maliques entre autres. Ces acides sont les principales causes de l’érosion rocheuse. Leurs modes d’actions sont multiples et peuvent relever de la détérioration des structures minérales, du changement de propriétés des minéraux, du relâchement de cations et de la création de nouveaux minéraux secondaires. L’apparition de ces acides donne lieu à des modifications d’ordre biochimiques, chimiques et physiques du sol et, ainsi, à terme, à une nouvelle couche pédologique (Song et al., 2019 ; Lohezic-Le Devehat, 2020).
La désagrégation chimique se caractérise par différents mécanismes de solubilisation des éléments minéraux. Il semblerait que les principaux processus lichéniques impliqués dans la solubilisation des minéraux soient : la génération de CO2 respiratoire, la sécrétion d’acide oxalique et la production de composés biochimiques avec une capacité de complexation (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
La génération de CO2 respiratoire
La solubilisation des minéraux dans l’eau est favorisée par l’abaissement du pH. Effectivement, le thalle des lichens expulse du CO2, celui-ci est donc intégré à l’eau induisant la formation d’acide carbonique. C’est cette réaction entre l’eau et le CO2 dégagé par le lichen qui acidifie l’eau par une élévation de sa concentration en acides carboniques (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
L’étude menée par Prieto Lamas, entre autres, en 1995, sur des granites colonisés par les lichens, dans le Nord de l’Espagne, a révélé une variation entre la composition des roches et l’interface lichen-roche. Cette étude visait à comprendre la contribution des lichens à l’érosion de la roche. Sur les 20 sites observés, l’effet commun sur les roches était la pénétration des hyphes mais pas seulement. Les lichens était à l’origine du relâchement de fer formant des complexes organiques le long des murs. (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000 ; Carballal et al., 2001 ; Prieto Lamas, Rivas Brea, et Silva Hermo, 1995).
De multiples auteurs suggèrent que le thalle fongique peut créer un microenvironnement chimique spécifique avec l’installation d’une flore et d’une faune comme des bactéries par exemple ou d’autres organismes. Par conséquent, des conditions d’érosion particulières au niveau de l’interface qui unit le substrat (roche) au lichen sont créées notamment concernant la rétention hydrique (Lohezic-Le Devehat, 2020 ; Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
L’étude de coulées de lave par Jackson et Keller, en 1970, sur l’Île d’Hawaï, témoigne de l’altération des croûtes de lave en raison de la présence ou non de lichens. Ainsi, la présence des lichens au niveau de la roche avec une croûte d’altération plus épaisse ; la présence de composés ou de molécules, tels que du fer et, a contrario, l’appauvrissement en certaines autres molécules sur ces zones colonisées par les lichens laissent penser que les lichens ont pu avoir un impact chimique. Parmi les hypothèses émises, le CO2 respiratoire apparaît être une des causes possibles. Il pourrait contribuer à favoriser le taux d’altération chimique pour la raison mentionnée plus haut : l’abaissement du pH de l’eau (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000 ; Jackson et Keller, 1970).
La sécrétion d’acide oxalique et d’autres acides organiques
Les acides organiques influencent de manière significative la dissolution des hydroxydes de fer et d’aluminium. Ce phénomène se produirait par acidification et chélation qui entraîneraient des réagencements et des activations de minéraux.
Le principal acide sur lequel se sont axées les études est l’acide oxalique avec des minéraux tels que le calcium et le magnésium. Grâce à lui, du potassium provenant des minéraux (biotite, muscovite, etc.) peut être relâché.
Ces réactions dépendent des conditions du milieu dans lequel l’observation est réalisée comme la composition de la roche, la concentration en acides organiques et le pH de la réaction. Prenons le cas de la région forestière tempérée froide du Nord-Est de la Chine, où le climat est considéré comme rude, et où le sol est formé principalement de granite. Le sol y est majoritairement constitué de graviers et de sable, sur lesquels dominent du lichen et de la mousse. L’altitude et la latitude de cette forêt alpine typique amoindrissent le processus érosif et rendent les écosystèmes, dont le lichen, vulnérables et sensibles. La présence de nombreux acides organiques dans les différents lichens de ce milieu a été détectée et, notamment, celle d’acides succiniques et oxaliques. L’ensemble de ces observations a conduit à l’hypothèse suivante : les acides organiques ont un impact positif sur l’érosion biochimique du granite. Pour vérifier cette hypothèse, des expérimentations ont été menées sur différents échantillons de granite (en poudre) avec des solutions plus ou moins concentrées avec ces deux principaux acides. Ces expériences ont abouti à plusieurs conclusions, dont celle-ci : les acides oxalique et succinique contenus dans les lichens induisent l’érosion du granite et encouragent le relâchement de nombreux minéraux : Na+ Al3+ Fe3+ Mn2+, etc. (Song et al., 2019).
L’acide oxalique sécrété par le mycobionte de nombreux lichens est considéré comme crucial dans l’érosion chimique des minéraux rocheux. Outre l’étude de cas présentée précédemment, ceci a été confirmé par plusieurs observations : d’une part, la présence d’oxalates métalliques à l’interface entre la roche et le lichen et dans les filaments fongiques en eux-mêmes ; d’autre part, dans des conditions expérimentales, la présence d’oxalate (acide oxalique) était impliquée dans des réactions engendrant la désagrégation des minéraux et par expansion de la roche (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
Généralement, l’effet important du lichen sur la dissolution des roches et des minéraux est lié à la présence d’ions hydrogène et à la formation de complexes cationiques, notamment corrélées à la présence des groupements OH-1 et COOH-1 de l’acide oxalique (Eick et al., 1996).
La chimisorption ou absorption par des interactions chimiques, à la surface des minéraux, est la cause d’un déplacement de la densité électronique vers le cadre structurel du minéral (Encyclopædia Universalis France, Editions, 2020 ; Eick et al., 1996). Ce transfert de densité électronique le rend plus vulnérable face à l’hydrolyse (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
L’hydrolyse étant la résultante des minéraux initiaux qui rentrent en contact avec l’eau pour générer des nouveaux minéraux et des ions (SVT Guilleray, 2019).
Les composés lichéniques
Les lichens produisent de nombreux composés qui ont des rôles spécifiques pour leur défense contre les rayonnements lumineux, les lichénophages, le stress oxydatif, etc. Pour les produire, trois voies principales sont utilisées par les lichens : l’acide shikimique, l’acétate-polymalonate et l’Acétyl Coa (Gadea, 2020).
Ces métabolites secondaires sont généralement appelés acides lichéniques, mais il faut noter que cette appellation n’est pas tout à fait exacte car tous les métabolites secondaires ne sont pas des acides (Lohezic-Le Devehat, 2020).
En raison de l’insolubilité supposée des lichens dans l’eau, il était admis qu’ils n’avaient pas un rôle prépondérant dans l’évolution des roches. Cependant, en 1971, Iskandar et Syers ont montré la solubilité de certains de ces composés lichéniques : les depsides et des depsidones (Iskandar et Syers, 1971). Ces deux métabolites proviennent de l’acétate-polymalonate ayant pour origine l’acétyl-coenzyme A. Les depsides englobent le ténuiorine et ses dérivés, là où les depsidones comprennent l’acide stictique et ses dérivés (Gadea, 2020).
En 1971, Iskandar et Syers ont réalisé une expérimentation visant à déterminer la solubilité dans l’eau du lichen. Pour ce faire, des composés lichéniques issus de ces deux familles ont été sélectionnés et mélangés à l’aide d’une centrifugeuse pendant 96 heures à 25°C. les résultats ont montré une certaine variabilité mais sans corrélations particulières avec les types de structuration moléculaire. Par exemple, des depsides pouvaient être dissous dans l’eau à hauteur de 57 mg/L (érythrine) alors que l’atranorine avait une dissolution de seulement 5 mg/L. La solubilité dans l’eau reste influencée par le nombre et la nature des groupements polaires au sein des composés lichéniques (Iskandar et Syers, 1971).
D’après ces auteurs, les métabolites du lichen, que sont les depsides et les depsidones, sont suffisamment solubles pour être considérés comme agents favorisant l’érosion rocheuse (Iskandar et Syers, 1971). De ce fait, cette découverte, additionnée au fait que les lichens possèdent des groupements polaires tels que les OH, CHO ou COOH, leur confèrent un rôle dans la chélation.
Une autre étude réalisée par Iskandar, l’année suivante (en 1972), montre la formation de complexes métalliques organiques et solubles via les depsides et les depsidones et leur aptitude à altérer chimiquement les roches et les minéraux qui les composent. Pour ce faire, cette expérience a été menée avec trois types de roches différentes : basalte, granite et biotite, mélangées dans une solution par centrifugation avec des composés lichéniques solides : les depsides et les depsidones (Iskandar et Syers, 1972).
Plusieurs études ont suivi ces premiers travaux. Elles ont remis en cause la capacité ou le niveau d’altération chimique de ces composés (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000 ; Williams et Rudolph, 1974).
En 1974, Rudolph et William ont mesuré la capacité d’altération chimique du lichen avec l’utilisation de la chélation du fer comme indicateur de la désagrégation biochimique et la spectrométrie pour sa mesure. Cette expérience arrive aux mêmes conclusions qu’Iskandar et Syers. Cependant, les éléments composant les lichens (mycobionte et photobionte) ne sont pas capables d’assurer cette chélation montrant l’importance de leur association pour la fabrication des métabolites à son origine (Iskandar et Syers, 1972 ; Williams et Rudolph, 1974).
Toutes ces études s’accordent à dire que les métabolites secondaires du lichen jouent un rôle dans l’altération chimique de la roche. Cependant, il faut souligner qu’elles ont eu lieu uniquement en laboratoire (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
A travers cette partie, la capacité d’altération des roches par les lichens et, de ce fait, la participation des lichens à la pédogénèse a pu être démontrée. Ce rôle écologique des lichens passe par une altération à la fois physique, biochimique et chimique de la roche et par de nombreux phénomènes liés à leurs caractéristiques structurelles et à la composition de leur métabolites secondaires (voir Fig. 6). Outre les mécanismes présentés, d’autres mécanismes existent comme l’alcalinolyse et les réactions enzymatiques. En outre, leur rôle sera plus ou moins favorisé selon les roches sur lesquelles les lichens sont implantés : basalte, calcaire, granit, etc (Chen, Hans-Peter, et Beyer, 2000).
